Espace public régional de l’eau – Sylvie Altman
Séance des 10 et 11 février 2011
Espace public régional de l’eau
Sylvie Altman
La cause de l’eau est l’un des sujets les plus essentiels que l’Humanité ait à affronter dans l’avenir, avec l’énergie et les déchets. Nous devons anticiper et permettre aux citoyennes et aux citoyens, aux élus d’en assurer la maîtrise dans l’intérêt général.
Cette délibération constitue une contribution politique à cette ambition. Elle constitue les premiers actes de notre collectivité : d’autres doivent suivre, ainsi que, nous l’espérons, des actes nationaux et internationaux qui permettront de sanctuariser l’eau comme un bien commun de toute l’humanité.
Avant d’en arriver précisément à l’objet de la présente proposition, je veux rappeler quelques données. Le marché de l’eau atteint un chiffre d’affaire de 15 milliards d’euros en France. L’Île-de-France est bien sûr le premier marché régional de l’eau. Rappelons que chaque euro investi sur l’eau rapporte 8 euros aux grands groupes et multinationales.
Il y a donc urgence à sortir l’eau de la marchandisation et d’en faire l’objet d’une intense bataille politique, de nouvelles conquêtes sociales pour sa réappropriation citoyenne et la création d’un service public, parce qu’elle représente un droit essentiel à la vie. L’eau doit devenir un droit universel, fondamental et inaliénable.
L’eau est au cœur de bien des défis, sociétaux, environnementaux, écologiques, économiques et humains pour les prochaines décennies. Elle est décisive pour une autre vision de la planète. Transformer le monde dans lequel nous vivons ne se fera pas sans la conquête et la préservation de ce bien commun pour toute l’humanité.
Il nous faudra combattre les lobbies financiers qui interviennent pour maintenir leurs profits. Pour nous, l’enjeu de l’eau et de l’assainissement est tout autre : il s’agit d’éradiquer les drames humains qui touchent d’ores et déjà toute la planète. 1 milliard d’individus n’ont toujours pas accès à l’eau potable. 2,5 milliards n’ont pas accès à l’assainissement. 8 millions, dont 2 millions d’enfants, meurent chaque année faute d’accès à l’eau.
Une étude portant sur la période 1998-2008 a montré que le prix du mètre cube d’eau potable a augmenté de près de 21 % ; celui de l’assainissement de 31 %. Dans le même temps, les passages en régie ou les renégociations de contrats ont permis une diminution de 20% du prix de l’eau pour la première fois depuis 1964. L’implication réelle des élus et leur expertise sont décisifs pour le prix de l’eau.
L’eau représente une charge toujours plus importante dans le budget des ménages en Île-de-France, et ce que quelque soit le mode de gestion. Quand, en moyenne, les Français consacrent 0,8 % de leur budget pour l’eau, aujourd’hui certaines familles en consacrent 10 à 15 %. La question de l’égalité tarifaire est posée en Île-de-France et dans toute la France.
Cette part devrait encore augmenter de 15% dans la décennie à venir. La distribution et le traitement de l’eau ont un coût très important, lié aux investissements pour l’entretien et le traitement de l’eau, aux exigences européennes en matière de santé et d’environnement. La baisse des volumes consommés n’a pas fait baisser le prix de l’eau, car les coûts fixes demeurent très élevés. A ces coûts s’ajoutent les taxes locales et redevance, première source d’inégalités territoriales.
Aujourd’hui, les usagers supportent l’essentiel des coûts d’investissement. Il s’agit de savoir par qui et comment seront financés les investissements nécessaires pour préserver une ressource qui se raréfie et assurer un meilleur respect de l’environnement. Est-ce l’usager, ou un service public national, garant de l’égalité et d’accès pour tous ?
Face à ces défis technologiques et environnementaux, l’enjeu d’un grand service public de l’eau est plus que jamais posé. Un service public doté des moyens de recherche et d’ingénierie et de financements publics, fondés sur la péréquation, capable d’offrir sur l’ensemble du territoire un accès égal, au même prix pour tous, à ce bien commun. C’est un enjeu de transformation sociale. Cela n’empêche pas l’approche territoriale et les interventions au niveau local, départemental, régional en les inscrivant dans cet objectif.
Cette délibération vise à aborder des questions essentielles pour l’avenir de la Région :
- les modalités de financement de l’eau et de l’assainissement, face aux investissements à venir
- le traitement des eaux pluviales, aujourd’hui à la charge de l’usager, la protection face aux risques d’inondation
- les enjeux environnementaux, notamment les pollutions émergentes et industrielles, les nouveaux risques sanitaires, ainsi que la préservation de l’eau et son bon état écologique
- les capacités de distribution et la mise au norme des réseaux, avec la mise en place de la directive européenne cadre sur l’eau et celle sur les eaux résiduaires urbaines.
- Les enjeux énergétiques et les valorisations nécessaires.
- La place des usagers dans ces enjeux.
- L’avenir des structures intercommunales et des syndicats face à la réforme des collectivités
- Les outils de recherche et de développement.
C’est la première idée force de la délibération qui vous est soumise. Nous avons entendu les demandes des groupes et dans les débats des commissions pour en renforcer la pertinence et souhaitons les intégrer.
L’idée est la suivante : il s’agit de mieux connaître et prévoir les enjeux auxquels nous serons confrontés dans l’avenir, de disposer d’un état des lieux, des connaissances et des expériences : ampleur des investissements nécessaires, maîtrise des outils technologiques et des savoir-faire, les enjeux de mutualisation régionale et les défis environnementaux et sociaux.
Beaucoup d’entre vous ont marqué la nécessité d’associer à ce travail l’ensemble des acteurs concernés : citoyens, syndicats, régies ainsi que des personnalités qualifiées. Nous en sommes pleinement d’accord. Un tel enjeu ne peut se priver de la réflexion de personne.
La distribution et l’assainissement de l’eau sont gérés par les collectivités locales. Cela confère aux élus locaux une très grande responsabilité : car si l’eau est limpide, il demeure en maintes endroits une forme d’opacité.
Ce n’est qu’en 2006, avec la loi sur les milieux aquatiques, que la distribution d’eau potable est devenue une compétence communale obligatoire. La production, le stockage et le transport restent des compétences facultatives.
Les communes sont désignées compétente en matière d’assainissement et délimitent des zones. Il revient aux collectivités de décider des modalités de gestion : régie directe, régie avec marché, délégation de service public ou affermage.
Le débat sur le retour en régie publique bat son plein dans nombre de départements et de régions. C’est un débat de fond extrêmement important. Il touche à la conception de la gestion de l’eau et de l’assainissement, à la gouvernance. Il touche à la question du pouvoir des multinationales de l’eau qui, tout en ayant délégation de service public, réalisent des profits fabuleux pour un bien indispensable à la vie. Parallèlement à ce débat sur la remunicipalisation, un autre débat est nécessaire, je l’ai déjà évoqué : comment œuvrer, en France, pour la création d’un grand service public national de l’eau, seule garantie de l’égalité républicaine, comme pour l’énergie, l’éducation et la santé ?
Dans ces débats, de nombreuses questions sont posées : celle du financement des infrastructures, de la technicité, et des relations public/privé.
En Île-de-France, de nombreux acteurs interviennent dans le domaine de l’eau, dont de très gros syndicats intercommunaux et EPIC : Eau de Paris, qui concerne 2 millions d’habitants, le Syndicat des eaux d’Île-de-France, qui se charge de la distribution pour 4 millions d’usagers et regroupe 144 communes, le syndicat d’assainissement de l’agglomération parisienne, service public qui traite les eaux usées de 8,5 millions d’usagers, ainsi que plusieurs autres syndicats et régies.
Cette multitude d’institutions et d’organismes crée beaucoup de complexité, à laquelle il faut ajouter que deux tiers des habitants vivent dans un logement collectif et ne sont donc pas titulaires de leur facture.
L’Île-de-France souffre d’une inégalité territoriale très forte en terme de prix. Si le prix moyen est de 3,50 € par mètre cube, les écarts vont jusqu’à 74% du prix moyen ! L’échelon régional est pertinent pour une réflexion sur ces enjeux sociaux.
Dès novembre 2009, les parlementaires communistes ont déposé une proposition de loi sur l’eau qui proposait la création d’une « allocation eau » pour faire baisser la part de l’eau dans le budget des ménages, en les limitant à 3%. Cette allocation serait calculée sur la base du prix réel payé par l’usager. Elle concernerait 272 000 familles en Ile de France.
Le principe de cette allocation a été voté à l’unanimité du Comité national de l’eau et repris par le Gouvernement. Le débat parlementaire de ces dernières semaines en a retenu également le principe. Son financement doit être inscrit dans la loi de finances 2012. Faisons en sorte que cette avancée se concrétise avant le Forum mondial de l’eau que la France accueille, à Marseille, en 2012 ! Notre pays s’honorerait ainsi de mettre enfin un œuvre un principe qu’elle a pourtant édicté dans la loi sur l’eau et les milieux aquatiques en 2006.
Vous l’aurez compris, les problématiques de l’eau s’enchevêtrent du local au national. L’objet de la délibération est donc d’élaborer une réflexion partagée, cohérente et lisible des questions posées. L’étude prévue par l’article 1 permettra d’engager ce travail, en lien avec l’IAU et l’ARENE. Ce travail devra, je l’ai déjà dit, associer largement à l’ensemble des acteurs : citoyens, associations environnementales et d’usagers, syndicats d’eau et d’assainissement, régies, élus et techniciens. D’autres institutions devront également être sollicitées, comme l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques ou l’Agence Seine Normandie, qui interviennent sur les enjeux de l’eau et de l’assainissement.
L’article 2, quant à lui, devra permettre de préciser les modalités d’action d’un « Espace public régional de l’eau » aux missions plus opérationnelles de coopération, d’expertise et de financement pour une maîtrise publique de l’eau.
Un des enjeux sera de favoriser une meilleure implication des usagers, qui ont le sentiment de ne pas être associés, en allant au-delà des seules commissions de services publics locaux.
Il s’agira de favoriser l’échange d’expérience des élus, dans le plein respect des décisions des collectivités. Cet « Espace public régional de l’eau » doit être un lieu d’élaboration collective pour penser les enjeux de l’eau et de l’assainissement pour demain, pour avancer concrètement dans l’intérêt des usagers. C’est un défi d’avenir pour la métropole.
Chacune, chacun est conscient des enjeux gigantesques qui sont devant nous. La maire que je suis, les élus que vous êtes savent l’ampleur des besoins d’investissement dans bien des domaines. Je suis persuadée que notre travail sera utile pour apporter un soutien à des collectivités en proie à l’étranglement financier.
Nous avons besoin de revisiter complètement les conditions de financement du service public local. Ce qui est vrai pour l’eau l’est plus globalement. Décider, c’est prévoir, dit l’adage. En décidant aujourd’hui d’engager la création d’un Espace public régional de l’eau, nous nous mettons en situation d’anticiper les besoins sur les décennies à venir. Nous assumons, à notre échelle, nos responsabilités. Sans oublier qu’il s’agit aussi, et peut-être avant tout, d’une responsabilité nationale.
Je vous remercie.